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Nouvelle Calédonie : L’urgence est d’abord sociale. 

Alors que le couvre-feu, instauré après les émeutes du mois de mai, vient juste d’être assoupli en Nouvelle-Calédonie, Jean-Jacques Urvoas, appelle le gouvernement à bien prendre la mesure des attentes des habitants, loyalistes et indépendantistes qui attendent de l’État qu’il répare les erreurs commises ces dernières années, notamment avec la tentative de dégel du corps électoral. 

l’État a avancé à marche forcée, pour faire plaisir aux Loyalistes, en sous-estimant la réaction indépendantiste.

Cap Finistère : Comment expliquer la tentative de dégel du corps électoral de la part du gouvernement ? 

Jean-Jacques Urvoas : L’affaire est complexe et à l’évidence l’exécutif, c’est-à-dire l’Élysée et Matignon ont commis une erreur d’analyse sur la réalité néo-calédonienne en prenant pour argent comptant que le point de vue de Sonia Backès, loyaliste, présidente de la province sud, nommée au gouvernement en juillet 2022.

L’essentiel de l’héritage de Michel Rocard, prolongé par Lionel Jospin, c’est que la Nouvelle-Calédonie, ça se traite à trois : les Loyalistes, les Indépendantistes et l’État. L’État étant un partenaire comme les deux autres. Il n’a pas à se comporter comme un notaire. Sa vocation n’est pas d’enregistrer les divergences ou les consensus entre les Indépendantistes et les Loyalistes. Il est signataire de l’Accord et donc, à ce titre, peut faire valoir ses arguments et ses propositions. Or, en faisant entrer l’une des représentantes des loyalistes au gouvernement, la partie ne se joue plus à trois mais à deux contre un. Les Indépendantistes ont évidemment été tout de suite beaucoup plus suspicieux. Se faisant, le gouvernement s’est, d’une certaine façon, rendu dépendant de la seule expertise de Sonia Backès.  Elle était évidemment crédible aux yeux de Matignon ou de l’Élysée puisque sa province accueille les deux tiers de la population calédonienne mais sa grille est décentrée. Et donc l’État a avancé à marche forcée, pour faire plaisir aux Loyalistes, en sous-estimant la réaction indépendantiste.

Le gouvernement a commis une faute puisqu’il a considéré que le dégel était une fin en soi et qu’une fois adopté, tous les problèmes étaient réglés et que la Nouvelle-Calédonie restait dans la République.

Cap Finistère : il faudra pourtant bien à un moment dégeler le corps électoral. 

Jean-Jacques Urvoas : Dans cette affaire, il y a le fond et il y a la forme. Le fond c’est la question du dégel. Il est inévitable. Il faudra évidemment dégeler ce corps électoral, parce que ce n’est pas possible d’interdire à des gens qui vivent depuis vingt ans dans un territoire de participer à une élection. Tous les électeurs votent pour les élections présidentielles mais selon les estimations du gouvernement 25 000, soit près de 10% du corps électoral ne peuvent pas voter aux élections au Congrès et aux assemblées de province. Au nom de l’égalité devant le suffrage, c’est injuste.

Je précise pour bien comprendre qu’en Nouvelle Calédonie, à la différence de l’hexagone, il existe trois listes électorales : une liste « générale » qui sert pour les scrutins organisés sur tout le territoire national, une liste «référendaire » plus restrictive qui permet de participer aux consultations sur l’autodétermination et la dernière concernant les assemblées des provinces (Sud, Nord ou des îles Loyauté).

Sauf que le gel s’expliquait, au moment où a été signé l’Accord de 1988 suivant une pratique assez classique dans les processus de décolonisation. Mais c’était transitoire, et d’ailleurs les deux articles de la Constitution qui font référence à la Nouvelle-Calédonie, le 76 et le 77, figurent dans un chapitre XIII qui s’intitule « dispositions transitoires ».

Ces dérogations ont été examinées par des tribunaux nationaux, européens ou internationaux qui, à chaque fois, ont estimé qu’elles n’étaient tolérables que si elles étaient momentanées, c’est-à-dire qu’elles devaient prendre fin au terme des Accords de Nouméa, c’est-à-dire au bout du troisième référendum. Nous y sommes.

Donc Indépendantistes et Loyalistes sont tout à fait conscients qu’il faudra dégeler le corps électoral.

Les seules questions portent sur la méthode et la finalité. Or, sur cet aspect, le gouvernement a commis une faute puisqu’il a considéré que le dégel était une fin en soi et qu’une fois adopté, tous les problèmes étaient réglés et que la Nouvelle-Calédonie restait dans la République.

Les indépendantistes, eux, considèrent que le troisième référendum n’est pas valable. D’ailleurs ils n’y ont pas participé. A ce boycott s’est ajouté la crise Covid et au final la participation ne fut que de 43 % contre 81 % et 85 % pour les deux premiers. Donc, pour le FLNKS, l’Accord de Nouméa n’est pas épuisé.

Le gouvernement a considéré qu’au fond, c’était un dossier assez facile parce que, de fait, depuis 1988, il était géré sans écueil. Mais cette fluidité ne niait pas la difficulté. Elle s’expliquait d’abord parce que les Premiers ministres successifs ont veillé à respecter l’héritage de Michel Rocard et de Lionel Jospin. Malheureusement, hormis l’exception d’Edouard Philippe, les premiers ministres d’Emmanuel Macron ne se sont pas sérieusement occupés de la Nouvelle-Calédonie.

Corinne Narassiguin et Patrick Kanner avaient anticipé l’impossibilité de tenir les élections et ont présenté cette proposition de loi dans un souci de responsabilité et d’apaisement.

Cap Finistère : Dans ces conditions, l’adoption de la proposition de loi des socialistes au Sénat de report des élections provinciales est une bonne nouvelle ?
Jean-Jacques Urvoas
 : Bien sûr ! Il était urgent d’annoncer le report des élections provinciales qui auraient dû se tenir au mois de décembre. La manière la plus rapide d’y parvenir était d’utiliser une proposition de loi d’origine parlementaire, pour des raisons institutionnelles. Corinne Narassiguin et Patrick Kanner avaient anticipé l’impossibilité de tenir les élections et ont présenté cette proposition de loi dans un souci de responsabilité et d’apaisement.

La question qui était posée était : peut-on décemment organiser des élections sereines d’ici deux mois ? La réponse est évidemment non, compte tenu du gouffre dans lequel la Nouvelle-Calédonie est tombée. La situation sociale est calamiteuse. Entre mars dernier et septembre un six sur salarié a perdu son emploi selon les derniers chiffres et 830 entreprises ont été contraintes de fermer. Or, la Nouvelle-Calédonie a son propre mode d’indemnisation du chômage : au bout de 8 mois, les aides s’arrêtent et les demandeurs d’emploi n’ont aucun revenu.

L’urgence pour eux, ce n’est pas d’élire le président de la province des îles Loyauté ou de la province nord, mais de réparer les dégâts et de reconstruire le tissu économique.

Ce n’est donc pas une question de méthodes mais de volonté politique.

Cap Finistère : Après ce qui s’est passé au mois de mai (13 morts, 2,2 milliards de dégâts et 25 000 salarié-es au chômage) comment retrouver le chemin de la paix ? 

Jean-Jacques Urvoas : Tous mes interlocuteurs m’alertent sur la colère des calédoniens, loyalistes ou indépendantistes. Le gouvernement n’aborde la question calédonienne que sous l’angle de l’ordre public. Il faut bien sûr le faire respecter mais le gouvernement ne pourra envisager l’avenir que lorsqu’il aura rassuré sur son soutien pour la reconstruction. Car, dans l’esprit des habitants, tout ce qui est arrivé est de la faute de l’État et c’est donc à lui de payer.

Aujourd’hui, il ne faut pas regarder la Nouvelle Calédonie avec les lunettes de Michel Rocard d’hier. Je pense que Michel Rocard, et son ministre de l’outre-mer Louis Le Pensec, ont beaucoup apporté. Leur méthode, prolongée par Lionel Jospin, a été formidable pour ramener la paix.

Mais, c’était il y a presque 40 ans et tout a changé. Aujourd’hui, tout est documenté, les interlocuteurs sont identifiés, les sujets sont connus, il n’est donc plus tant d’écouter. L’Etat connaît les positions de tous sur tout. Il existe même déjà des scénarios pour sortir de l’impasse. Ce n’est donc pas une question de méthodes mais de volonté politique. Hélas, après le discours de politique générale il y a un mois de Michel Barnier qui disait vouloir reprendre le dossier, rien n’a bougé.

La partition n’est ni viable, ni souhaitable

Cap Finistère : S’achemine-t-on vers une partition ?

Jean-Jacques Urvoas : La partition c’est l’autre nom du projet de Sonia Backès qui a défendu le 14 juillet dernier « « l’autonomisation des provinces ». L’idée n’est pas nouvelle, d’autres élus de droite avant elle avant déjà caressé une telle perspective. Il n’est pas surprenant qu’elle ressurgisse après ce qu’ont vécu les habitants du grand Nouméa depuis le mois de mai.  Comment se projeter dans un avenir commun avec ceux qui ont tenté de mettre le feu à votre maison ? Les jeunes Kanak qui, depuis 20 ans, vivent dans des conditions indignes, en deçà du seuil de pauvreté, sans réel accès à l’éducation, considèrent qu’ils n’ont rien de commun avec la France. Le discours qui consiste à dire « chacun chez soi » peut donc paraitre séduisant. Cependant, l’Histoire du monde nous enseigne que les solutions de partition n’ont jamais fonctionnées. De surcroit, c’est une lecture égoïste, puisque ce sont toujours les plus riches qui cherchent à gagner leur autonomie. La province sud, effectivement, peut se suffire à elle-même mais que devient le reste de l’archipel ?

La partition n’est ni viable, ni souhaitable. Il faut donc rapidement un projet alternatif mais tant que l’État n’aura pas donné de garanties sur la présence de la France pendant la durée de la reconstruction, personne n’aura envie de s’atteler à la définition de ce projet alternatif.

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