« Quand t’es dans le désert depuis trop longtemps, tu t’demandes à qui ça sert toutes les règles un peu truquées du jeu qu’on veut te faire jouer, les yeux bandés ». Voilà comment on peut résumer l’état d’esprit des patient-es, des élu-es mais aussi des professionnels de santé qui vivent ou exercent dans des déserts médicaux.
Voilà plus de 20 ans que des patients et des élu-es alertent les pouvoirs publics sur les difficultés d’accès aux soins dans ce qu’il est convenu d’appeler les déserts médicaux. Des mesures ont été prises pour faciliter les installations de professionnels de santé. Sous l’impulsion des élu-es locaux, les maisons de santé se sont multipliées de manière à garantir les meilleures conditions de travail aux professionnels de santé.
Carhaix, étape du tour de France des déserts médicaux
« Mais aujourd’hui, force est de constater que les incitations ne suffisent pas et qu’il faut passer à un système plus directif pour organiser une régulation des installations » ont résumé les député-es Guillaume Garot, Mélanie Thomin, et Paul Molac et les sénateur/trices Annie Le Houérou et Jean-Luc Fichet le 3 juillet à Carhaix à l’occasion du passage du tour de France des déserts médicaux. « Nous avons engagé ce tour de France pour faire connaître notre groupe transpartisan, mais aussi pour nous rendre compte, sur le terrain, des difficultés que rencontrent les patients mais aussi les professionnels » a expliqué Guillaume Garot, qui avant la réunion publique, s’est rendu dans le service de soins dentaires de l’hôpital de Carhaix.
« Ce n’est évidemment pas par hasard si nous avons choisi la capitale du Poher comme ville-étape » a renchérit Mélanie Thomin. « Cette ville est un symbole de la résistance des habitant-es pour défendre leur hôpital, et au-delà, l’accès aux soins. » La circonscription de la députée, qui représente 1/3 du territoire finistérien ne compte qu’un psychologue, 2 ophtalmologistes, mais aucun gynécologue et aucun dermatologue.
Un groupe de travail transpartisan
Dès le mois de juillet 2022, Guillaume Garot a pris l’initiative de créer un groupe de travail transpartisan pour enfin s’attaquer à la question des déserts médicaux et inverser l’évolution actuelle. En effet, malgré toutes les incitations, les données les plus récentes montrent que le nombre d’installations dans les zones surdotées continue de s’accroître alors que dans le même temps, les zones sous-dotées connaissent une baisse du nombre de professionnels de santé. Le nombre d’installations a par exemple augmenté de 27% dans les Hautes Alpes quand il baissait de 15% dans la Creuse. Les inégalités se creusent malgré des millions d’euros d’aides.
« Notre groupe de travail est composé de 42 député-es, dont Mélanie Thomin, issus de tous les groupes de l’arc républicain, de LR à LFI » a expliqué Guillaume Garot. « Nous nous réunissons tous les mercredis à 14h00. » Fruit de ce travail, une proposition de loi, visant à instaurer une régulation des installations, a été rédigée et signée par 205 députés.
« Nous sommes face à une question de santé publique puisque 8 millions de personnes vivent dans un désert médical, mais nous sommes aussi face à une question politique essentielle » a insisté Guillaume Garot. « C’est la promesse républicaine d’égalité qui est bafouée lorsque certains citoyens, qui pourtant cotisent comme les autres, n’ont pas accès aux soins, ou doivent parcourir des dizaines, voire des centaines de kilomètres pour consulter. »
La régulation des installations apparaît désormais indispensable, alors que, comme l’a rappelé Jean-Luc Fichet « 24 dispositifs incitatifs existent pour favoriser l’implantation de médecins dans des zones sous-dotées ».
« Notre dispositif consiste à répertorier les zones surdotées et à y soumettre à autorisation toute nouvelle installation » a résumé Guillaume Garot. « Seuls les départs en retraite pourraient être remplacés » a précisé Annie le Houérou.
Selon les estimations, 13% du territoire est sur doté. Les nouveaux médecins, dans la proposition de loi, auraient donc la possibilité de s’installer sur les 87% restants.
Démocratiser l’accès aux études médicales
La proposition de loi vise également à démocratiser l’accès aux études de médecine. Aujourd’hui, elles sont les moins ouvertes aux enfants d’origine modeste. « Les zones rurales ne sont pas attractives parce que les jeunes professionnels de santé sont essentiellement issus des villes » a expliqué Paul Molac. La proposition de loi instaure, dès la 2e année, une bourse d’étude, conditionnée par un engagement à exercer pendant une dizaine d’années, dans un désert médical.
La proposition de loi du groupe « déserts médicaux » n’a pas encore été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée. Mais, les député-es du groupe transpartisan ont profité de l’examen de la proposition de loi Valletoux sur l’accès aux soins, pour déposer les amendements reprenant des articles de leur propre proposition. « Sur 15 amendements proposés, 11 ont été adoptés » s’est félicité Guillaume Garot. Mais celui sur la régulation, le plus important, a été rejeté par un vote des députés Renaissance, LR et RN. Dans le Finistère, outre Mélanie Thomin, seul Erwan Balanant a voté pour. Annaïg le Meur, Sandrine Le Feur, Grazziela Melchior et Liliana Tanguy ont voté contre. Jean-Charles Larsonneur et Didier Le Gac étaient absents.
La proposition de loi limite également l’attribution de aides à l’installation. Il ne sera plus possible d’en toucher plus d’une tous les 10 ans. Cette mesure vise à lutter contre les « chasseurs de primes » qui s’installent en fonction des subventions qu’ils peuvent toucher.
L’examen de la proposition de loi du groupe transpartisan s’avère d’autant plus prioritaire qu’en matière de santé, il faut anticiper la formation de professionnels qui dure, au bas mot, au moins dix ans. Or, comme l’a souligné Annie Le Houérou, « on constate le développement, dans les déserts médicaux, de cabines de télémédecine. On ne peut pas se satisfaire de cette solution d’urgence. La prise en charge d’un patient nécessite une consultation globale, en face à face avec un praticien ».
La suppression du numérus clausus, imposé dans les années 70 par les professionnels de santé, était indispensable. Cependant, si elle ne s’accompagne pas d’un renforcement des moyens alloués aux facs de médecine, elle n’aura aucun impact sur la démographie médicale. Or, l’enjeu est bien de former plus de professionnels de santé. C’est dans cette optique aussi que la proposition de loi prévoit de mieux informer les lycéens sur les filières médicales.
En parallèle de la mise en place de la régulation, une réforme profonde de l’hôpital s’avère nécessaire. En particulier pour améliorer les conditions de travail et la rémunération des internes. Car aujourd’hui, lorsqu’on évoque la régulation des installations, ces derniers répondent que les conditions de travail qui leur sont imposées justifient leur droit à s’installer où bon leur semble.
L’accès à la santé ne doit pas dépendre du code postal
La bataille parlementaire se déroule donc maintenant sur deux fronts. Le premier passera par le Sénat lorsque la loi Valletoux sera débattue. Le second se déroule à l’Assemblée, pour que le bureau de l’Assemblée inscrive, enfin, la proposition de loi du groupe transpartisan à l’agenda. Mais les résistances sont fortes et le rejet de l’amendement sur la régulation montre bien que toute la droite, et l’extrême-droite de l’hémicycle, fera tout pour l’empêcher.
Mais la bataille de l’opinion reste aussi à mener pour convaincre patients et médecins que la régulation est la seule solution pour mieux répartir les professions de santé sur l’ensemble du territoire. « L’accès à la santé ne doit pas dépendre du code postal » a rappelé Guillaume Garot. Cette régulation existe déjà pour les pharmaciens, les infirmiers ou les kinés. Or, une partie des médecins libéraux, le plus souvent par idéologie, refusent toute intervention de la puissance publique en matière d’installation. C’est donc cette bataille de l’opinion qu’il faut maintenant mener pour faire prévaloir l’intérêt général et garantir à chaque citoyen l’accès aux soins.