L’agriculture doit retrouver sa fonction alimentaire initiale estime le député européen Éric Sargiacomo qui rappelle que l’avenir de la politique agricole se décide en grande partie à Bruxelles.
Cap Finistère : Quel bilan tires-tu de l’édition 2025 du salon de l’agriculture ?
Éric Sargiacomo : Les agriculteurs sont confrontés à une série de défis inédits. Il y a ceux qu’ils connaissent comme le renouvellement des générations, un revenu décent par rapport à leur travail, les difficultés de répartir, sur la chaîne de valeur, le produit de leur travail…
Mais il y a plein de nouveaux défis qui, aujourd’hui, les percutent de plein fouet. Ce sont évidemment, les conséquences du réchauffement climatique et la donne géopolitique. Leur principal métier au départ, c’est quand même de produire pour nourrir. Donc, on leur demande beaucoup de choses et ils doivent le faire avec beaucoup de variables. On leur demande de résoudre une équation à de multiples inconnues. Et c’est là que nous devons les soutenir, leur donner de la visibilité. Ils ont besoin d’avoir des politiques qui les écoutent, qui soient conscients des enjeux qui pèsent sur leurs épaules.
Donc l’édition 2025 du salon de l’agriculture était très studieuse. J’y ai passé 5 jours et j’ai eu de très nombreux échanges sur le fond. Pas du tout la même excitation que l’an dernier, année préélectorale pour les élections dans les chambres. J’en retiens une forte préoccupation d’être inclus dans le récit national, d’avoir une place dans les politiques publiques et que les décisions ne soient pas prises sans eux.
Cap Finistère : Penses-tu que la LOA qui vient d’être votée peut répondre aux demandes des agriculteurs, notamment en ce qui concerne leurs revenus ?
Éric Sargiacomo : C’est un cautère sur une jambe de bois. La solution ne peut pas être franco-française, alors qu’une très grande partie de la politique agricole est déterminée à l’échelle européenne. Il y a un côté surréaliste alors même que plus de 50% des aides européennes sont consacrées à l’agriculture, soit près de 10 milliards d’euros. Pour moi, la LOA est essentiellement un objet de communication politique, et je ne pense pas qu’on fasse une bonne loi en pensant d’abord à la communication avant son contenu.
Cap Finistère : A quoi pourrait ressembler une loi d’orientation agricole de gauche ?
Éric Sargiacomo : Elle amènerait un gouvernement de gauche à inclure les deux éléments des politiques publiques en matière agricole, c’est-à-dire influer sur la politique agricole commune à l’échelle communautaire et se doter des éléments de planification à l’échelle française de manière à donner une perspective réelle aux agriculteurs et ne pas se contenter de leur dire : tout va bien, et faites ce que vous voulez.
Avec la LOA, telle qu’elle a été votée, c’est le juge, en réalité, qui va décider à la place des agriculteurs et des pouvoirs publics, tellement les concepts sont peu définis et vont laisser une grande part d’interprétations, et je pense notamment à la question de l’usage des pesticides.
Il y a bien sûr une dimension hexagonale. Mais aujourd’hui, nous avons des plans stratégiques nationaux inutiles et on voit bien que la France est timorée sur l’utilisation d’un certain nombre d’outils comme le plafonnement des aides ou leur dégressivité alors que la PAC le permet.
En fait, je pense qu’il faut revenir à la vocation essentielle de l’agriculture qui est de nourrir. Or, on assiste de plus en plus à une concurrence effrénée sur les terres agricoles pour d’autres usages que la production alimentaire.
On pensait que le rapport entre celui qui exploite la terre, le paysan, et le propriétaire, avait été définitivement réglé avec la loi sur le fermage de 1946 grâce notamment au Breton Tanguy-Prigent et au Landais Charles Lamarque-Cando. C’était une des grandes victoires de la gauche, qu’on l’oublie souvent, et que la droite cherche à cacher. C’est cette loi qui avait donné le pouvoir aux paysans dans notre pays.
Or, on assiste au retour en force des propriétaires. Alors, ce ne sont plus les grands propriétaires terriens de l’ancien régime mais ça peut être des sociétés, des fonds, des banques, des assurances, qui veulent aujourd’hui être les propriétaires et faire de l’argent en exploitant des terres alors même que les agriculteurs ont du mal à vivre du fruit de leur travail.
Je crois qu’il faut s’inspirer de ce qu’a fait la commission européenne en réunissant toutes les parties prenantes sur le sujet agricole. C’est ce qu’on a appelé le dialogue stratégique conduit au 2e semestre 2024, en mettant autour de la même table les ONG, les associations, les syndicats, les filières et en leur demandant d’indiquer leur vision de l’agriculture pour ensuite dégager une synthèse. C’est, je crois, la bonne méthode à mettre en place. La future PAC post 2027 se négocie aujourd’hui et il faut y participer or, je trouve que le gouvernement français n’est pas assez présent.