Et si, finalement, c’était Alain Souchon qui avait raison, quand il chantait que nous étions « une foule sentimentale, avec soif d’idéal, à qui on fait croire que le bonheur c’est d’avoir, des quantités de choses qui donnent envie d’autre chose ? »
A l’issue du mouvement des gilets jaunes, sous l’impulsion de la CFDT, plusieurs organisations, syndicales ou associatives, engagées dans la défense de l’environnement ou le soutien aux plus démunis, se sont retrouvées pour engager une réflexion autour de la notion du « pouvoir de vivre ».
« Nous avons voulu prendre à bras le corps le dilemme mis en exergue par les gilets jaunes, résumé par la formule « fin du mois contre fin du monde » a expliqué Amandine Lebreton, directrice du Pacte de pouvoir de vivre, le 5 avril, à la PAM, à Brest, dans une conférence-débat animée par Roger Morin, à l’invitation de l’antenne Finistérienne du mouvement, représentée par Solenn Talarmin et Frédéric Huon de la CFDT.
Fin du monde et fin du mois même combat
En 2019, 19 organisations (Associations, mutuelles, syndicats) intervenant dans les champs de la solidarité, de l’environnement, de la santé ou du social) se sont donc retrouvées pour engager une réflexion autour de la question du pouvoir d’achat pour la dépasser et définir les contours d’une nouvelle notion qui serait le pouvoir de vivre. « On voyait bien que nous étions dans une impasse et qu’il fallait agir autrement » a rappelé Amandine Le Breton. Le dialogue était devenu impossible et nous nous sommes rendu compte que celles et ceux qui mettaient en avant les sujets de la transition écologique et celles et ceux qui défendaient la justice sociale ne se rencontraient pas, n’avaient pas d’espace pour échanger. » Or, ces deux dimensions sont intimement liées et ne sont pas antagonistes, au contraire. La crise climatique accentue les inégalités et frappe en priorité les plus modestes. D’où le travail qui a abouti, en novembre 2021 à la publication du manifeste du « pacte du pouvoir de vivre » qui avance 90 propositions dans des domaines comme la santé, le logement, l’éducation, les services publics, l’alimentation, etc…. En quelques mois, le nombre d’organisations parties prenantes est passé de 19 à 64 et 40 groupes locaux, dont un dans le Finistère , ont vu le jour.
« Nous poursuivons deux objectifs » a précisé Amandine Lebreton. « D’abord démontrer que les luttes contre le réchauffement climatique et contre les inégalités vont de pair et ensuite prouver que la société civile organisée (Syndicats, associations, Mutuelles) dispose d’une capacité à agir, de manière autonome, et doit être écoutée. »
Le pacte met en avant la notion de « pouvoir de vivre » et pas celle de « pouvoir d’achat ». Pour une grande partie de la population, la question du pouvoir d’achat est essentielle. Lorsqu’il faut, dans des familles, faire des arbitrages entre des dépenses de santé, d’alimentation, de chauffage, de transports, de loisirs… on a clairement besoin d’une hausse du pouvoir d’achat.
Mais, dans un monde dont les ressources sont limitées, la recherche de la hausse infinie du pouvoir d’achat a-t-elle encore un sens ? Le consommateur a-t-il définitivement pris la place du citoyen ? Et finalement, la question qui est posée est « quelle société voulons-nous ? »
Le pacte du pouvoir de vivre organise régulièrement des rencontres autour du thème « c’est quoi le bonheur ? ». Les réponses laissent apparaître une forte demande de sens, de liens et d’engagements. Et, lorsqu’on pousse le débat, on arrive rapidement à une formule qui résume bien l’objectif du pacte : « Vivre dignement dans un environnement sain ».
D’où les propositions visant, par exemple, à améliorer l’accès aux cantines scolaires, et plus généralement tout ce qui relève de la restauration collective, pour, à la fois, servir des produits sains et de qualité, et ainsi offrir un débouché aux agriculteurs locaux, respectueux de l’environnement, et permettre au plus grand nombre, grâce à une tarification sociale, de se nourrir. « L’exemple des cantines est d’autant plus intéressant qu’il se situe aux confluents de nombreuses thématiques (alimentation, agriculture, éducation, inégalités) et qu’il fait intervenir plusieurs acteurs (Éducation Nationale, collectivités locales, parents d’élèves) » a souligné Amandine Lebreton.
Un espace de dialogue
Cet espace de dialogue peut se révéler extrêmement utile pour anticiper et désamorcer des crises potentielles. Par exemple, au moment où vont se mettre en place les ZFE (Zones de faible émission). En effet, si tout le monde a le droit de vivre dans un environnement sain, sans particules fines, tout le monde n’a pas les moyens de changer ses modes de déplacements. Quelles solutions faut-il inventer pour que cette mesure, destinée à améliorer les conditions de vie des citadins ne se transforme pas en mécanisme d’exclusion des plus pauvres ? Et provoque de nouvelles tensions ? On estime aujourd’hui à 9 millions, le nombre de personnes, en France, totalement dépendantes de leur voiture pour se déplacer. C’est donc maintenant qu’il faut inventer des solutions comme l’amélioration des réseaux de transports en commun, dans les villes et entre les villes.
Anticiper pour désamorcer les tensions
Il en va de même avec le zéro artificialisation des terres, qui risque de se heurter à la demande de constructions neuves de la part des associations qui militent pour le droit au logement. Face à ce type d’injonctions contradictoires, une réflexion collective s’avère indispensable pour concilier deux aspirations aussi légitimes l’une que l’autre.
Tout le monde s’accorde sur la nécessité de lutter contre les passoires énergétiques. Pour réduire le réchauffement climatique, mais aussi pour limiter les dépenses des ménages dans un contexte de hausse des prix de l’énergie. « Mais en moyenne, l’isolation coûte 70 000 euros pour une maison et 25 000 pour un appartement » a rappelé Amandine Lebreton. « Il faut par conséquent trouver les mécanismes financiers et fiscaux qui permettent aux ménages de réaliser les travaux. »
Nous ne sommes qu’aux prémices de la « guerre de l’eau », élément indispensable à la vie. Comment éviter les conflits qui ne manqueront pas de se déclencher en mettant en place une gouvernance démocratique et des systèmes de partages équitables de ce bien commun ?
Et finalement, on en revient toujours aux mêmes enjeux : comment mieux partager les ressources, les richesses et les responsabilités.
Une journée pour faire connaître le Pacte
Le pacte du pouvoir de vivre semble cocher toutes les cases de ce qu’il ne faut pas faire, dans une « société du spectacle » pour être entendu : il s’attaque à des questions complexes, il ne désigne aucun bouc-émissaire, il prend le temps de la réflexion et il avance des propositions. « Notre présence médiatique n’est pas assez importante » a reconnu sa directrice, qui a annoncé, à Brest, une journée du Pacte du pouvoir de Vivre, cet automne, de manière à mettre en valeur cette démarche inédite, ses propositions et les groupes locaux qui l’animent.
En savoir plus sur le Pacte de Pouvoir de Vivre.