En ouverture de la session du conseil départemental du 8 février, Bernard Pelleter, ancien maire de Mellac a rendu hommage à Louis Le Pensec avant que les élu-es observent une minute de silence.
Pendant deux mandats il fut également conseiller municipal et adjoint en charge des relations extérieures et de la prospective. C’était tout lui. Il va de soi que ce fut une fonction sans indemnité. Il n’aurait pas apprécié que je ne mentionne pas ce dernier point, lui qui était un modèle de droiture et d’une intégrité sans faille.
Ce furent des années merveilleuses et enrichissantes que de le côtoyer toutes ces années, de participer à ses combats pour l’élévation des plus humbles d’entre nous et la réussite du plus grand nombre.
De façon plus intime, nous avions également ces rapports d’amitié qui nous rapprochaient encore davantage aux heures les plus douloureuses de la vie.
Louis avait un attachement viscéral pour sa commune de naissance et de cœur et une affection profonde pour ses concitoyens. Il disait que, lors de ses 27 ans de maire, il connaissait le prénom de 80% d’entre eux. C’est dire les relations intimes et privilégiées, instaurées au fil du temps entre les habitants de cette commune et leur maire. Ce fut cette même proximité, alliée à une personnalité hors du commun, qui lui permirent d’avoir ce parcours politique incroyable sans être battu une seule fois dans les urnes.
Il était d’une simplicité remarquable, qui allait de pair avec une réelle attention portée aux autres. L’un de ses plus proches collaborateurs, il y a peu, rappelait ce conseil appuyé qu’il lui donnait : donner autant d’énergie à un dossier essentiel pour l’avenir de centaines ou de milliers d’emplois qu’à une situation individuelle et inversement.
Lors d’un premier contact, Louis accrochait le regard. Son élégance et haute silhouette, son profil de Breton typique ne laissaient personne insensible. Sourire enjôleur, son regard bleu tout en douceur, pouvaient néanmoins se figer en autant d’armes de ferme dissuasion. Mais c’était très exceptionnel chez lui. Bienveillance, confiance et souci de l’échange prévalaient.
Il ne transigeait pas cependant, jamais, avec sa conscience ou ses convictions.
« La mer mérite mieux que cela » lança avec fracas le premier ministre de la mer lors de la rétrogradation en 83 de son ministère de plein exercice au rang d’un secrétariat d’État. Remaniement ne signifie pas reniement. Par fierté et surtout parce qu’il avait déjà cette idée forte que la mer était une ressource vitale pour les humains et la planète, Louis Le Pensec se retira avec panache et repartit pour la première élection partielle de l’ère mitterrandienne, un peu osée et risquée pour certains. C’était oublier le fort ancrage et l’enracinement dans son territoire sud cornouaillais, qui s’étendait peu à peu au Finistère et à la Bretagne.
Louis était né dans une famille très modeste, il rêvait d’être menuisier. C’était sans compter sur l’école de la République. Combien de fois il rappela le souvenir des hussards républicains qui l’avaient porté, forgé toutes ces années primaires pour mieux s’ouvrir ensuite aux études longues et à la vie.
En retour pour conforter l’égalité des chances de réussite de nos jeunes, l’effort municipal appuyé envers nos écoles ne fut jamais démenti. Après le bac il fut justement instituteur quelque petit mois mais tapa dans l’œil de l’inspecteur d’académie qui décela son potentiel et le coacha vers l’université.
Après ses études à Rennes, puis Paris, il rejoignit l’industrie quelques années avant de revenir enseigner à l’université de Rennes. C’était une étape. L’objectif était établi : rendre à la République ce qu’elle lui avait apporté en s’engageant au plus près de l’action publique via la politique.
Cap sur Mellac, donc, en 71, où il fut le seul élu au premier tour sur les trois listes présentent. Un des concurrents pensait avoir trouvé la parade pour chasser l’intrus. Il a appris du tribunal que Louis avait bien un attachement avec Mellac puisqu’il louait une chambre d’étudiant dans le sous-sol de sa sœur. Louis ne laissait rien au hasard.
Aux législatives de 73 Louis fut le vainqueur du député sortant Jean-Claude Petit dont le slogan de campagne était « Voyez, grand, votez Petit ! », ça ne s’invente pas.
Et pour en terminer avec ces élections, cette formule de François Mitterrand à Brest en 78, entre les deux tours : « un jour vous gouvernerez la France ».
Visionnaire, prémonitoire. Avec une part de stratégie, sans nul doute.
J’ai voulu, monsieur le président, donner à connaître les côtés peu habituels et un peu intimistes de Louis le Pensec. De ces années ministérielles, il gardait un souvenir plus particulier de la Nouvelle-Calédonie, d’après le drame d’Ouvéa.
Son ami Michel Rocard qui en fit le porte-parole de son gouvernement avait mis dans le mille en choisissant un homme issu de la ruralité et persuadé de ses valeurs.
Cet humaniste savait que prendre le temps nécessaire, écouter chacun, négocier inlassablement, étaient les clés pour renouer le dialogue et recoudre la paix sur le caillou.
Je n’ai pas évoqué son appartenance socialiste. Elle démarrait de loin, avant Épinay, du temps de la convention républicaine, un choix du cœur et de l’anticipation là aussi. Jusqu’à la fin, il demeura fidèle à ses idéaux, même s’il restait un peu mutique sur des choix à peine récents.
Vous l’aurez compris, par-delà l’homme politique, Louis Le Pensec était un homme d’une très grande humanité, d’une remarquable ouverture d’esprit et d’une générosité à toute épreuve.
Un homme consensuel reconnu, au-delà des positions partisanes, comme vous l’indiquez, monsieur le président.
Sa disparition va créer un vide. Mais nous nous rappellerons souvent l’être exceptionnel qu’il était, la personne chaleureuse qui vous bonifiait et tonifiait à chaque rencontre. Sa générosité, sa bienveillance, son écoute attentive, attentionnée ont toujours touché la vie de beaucoup de nos concitoyens. Son leadership en Bretagne a conduit à l’émergence d’hommes et de femmes de grande qualité, profondément investis dans leur volonté de changer la vie ici, en notre péninsule du bout du monde.
Il laisse derrière lui un héritage de solidarité et d’engagement qui nous fait dire, avec René Char : « cet héritage n’est précédé d’aucun testament. »