« Si le trafic de drogue a toujours existé, il a, depuis quelques années seulement, pris une ampleur dramatique » a déploré Jean-Paul Vermot, maire de Morlaix et président de l’UESR. Des villes et des communes rurales, épargnées jusqu’alors, sont désormais le théâtre de trafics et de règlements de comptes qui ont coûté la vie à deux adolescents dans la région de Morlaix. Face à ce phénomène, les élu-es attendent de l’État une réponse ferme.
Or, depuis quelques années, les pouvoirs publics n’ont pas pu, ou pas su s’adapter à la nouvelle donne imposée par les trafiquants. « Tout est parti de Marseille où des élu-es socialistes, écologistes et communistes ont demandé la création d’une commission d’enquête pour comprendre comment la ville avait pu basculer dans une violence extrême qui s’est traduite par plusieurs dizaines d’assassinats » a rappelé Jérôme Durain.
En quelques années ce qu’on croyait cantonné à la cité phocéenne s’est étendu à l’ensemble du territoire national. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène : l’apparition de drogues de synthèses, le développement de la consommation de fentanyl sur le marché américain provoquant un transfert de la cocaïne vers l’Europe, la baisse des prix des produits et l’usage des réseaux sociaux pour vendre des stupéfiants, recruter des dealers ou menacer des concurrents.
« Nous nous sommes fixé un objectif » a précisé Jérôme Durain. « Donner à l’État les moyens de combler son retard sur des groupes criminels internationaux. Dès le début, nous nous sommes mis d’accord pour laisser de côté la question de la dépénalisation. Non pas parce qu’elle serait mineure mais parce qu’elle est clivante et que, compte tenu de la gravité de la situation, il était urgent de dégager un certain nombre de propositions qui puissent faciliter la lutte contre les trafiquants et fassent l’unanimité ».
« Cependant », précise le sénateur socialiste, « nous savons bien que nous n’avons fait que la moitié du chemin et que la question de la dépénalisation, mais aussi de l’accompagnement des toxicomanes et de la prévention devra être posée, notamment pour ce qui concerne les socialistes à l’occasion de la convention nationale sur la prévention de la délinquance ».
Donc, puisque les forces de l’ordre et les trafiquants ne s’affrontent pas à armes égales, comment est-il possible de renforcer l’arsenal policier et judiciaire ?
D’abord, en coordonnant mieux l’action de tous les acteurs et en désignant une autorité chargée de poursuivre les trafiquants. Cela passe par le renforcement de l’Office anti stupéfiants (OFAST) afin d’affirmer sa pleine autorité sur l’ensemble des services qui concourent à l’entrave judiciaire contre les narcotrafiquants et la création d’un parquet spécifique.
Ensuite il est indispensable de tracer l’argent des trafiquants et, le cas échéant, de pouvoir le confisquer. Cela suppose une plus grande coopération internationale avec des pays peu regardant sur l’origine des fonds investis chez eux mais aussi une augmentation des moyens alloués à l’administration fiscale.
La prison ne fait plus peur aux trafiquants. Pire, elle leur sert souvent de base arrière pour gérer leurs affaires voire pour commanditer des assassinats.
Avec un chiffre d’affaires estimé entre 3 et 6 milliards, le trafic de drogue dispose d’une forte capacité de corruption. Si elle est aujourd’hui qualifiée de basse intensité, elle doit cependant être regardée avec attention.
Enfin, la procédure pénale mérite d’être réformée, dans les affaires de drogue, afin que les dealers ne puissent pas bloquer ou faire annuler des procédures pour des vices de forme.
La droite aime beaucoup les policiers lorsqu’elle est dans l’opposition. Mais au pouvoir, elle se souvient que ce sont des fonctionnaires et elle réduit leurs effectifs, comme Nicolas Sarkozy qui a supprimé 10 000 postes dans la police et la gendarmerie.
« Accuser les maires est injuste est démagogique » a confirmé Jérôme Durain. « La sécurité est une prérogative régalienne de l’État qui doit se donner les moyens d’agir en recrutant des policiers, des magistrats, des douaniers. « Ce ne sont pas les maires qui vont démanteler des réseaux en Amérique latine ou arraisonner des navires dans le golfe de Guinée. En revanche, les élu-es locaux ont un rôle à jouer en repérant des points de deal ou en constatant l’installation de commerces douteux qui peuvent servir au blanchiment de l’argent de la drogue ».
De plus, avec la course à l’armement des polices municipales, en fonction du bon vouloir des maires, on va rompre l’égalité entre les citoyens face à la sécurité, entre ceux qui vivent dans des communes riches qui pourront se doter de système de vidéosurveillance et équiper leur police municipale et ceux qui vivent dans des communes pauvres.
A travers la lutte contre le narcotrafic, c’est la question du service public qui est finalement posée : à force de réduire les moyens de la Police, voire de les démanteler pour la police judiciaire, de la Justice, et notamment de la PJJ (prévention judiciaire de la jeunesse) ou des douanes, les trafiquants se sont sentis intouchables. D’autant que l’expérience leur a montré que les discours martiaux prononcés par les ministres de l’intérieur sont rarement suivis d’effets : les policiers attendent toujours le Kärcher promis par Nicolas Sarkozy. Magistrats, policiers, douaniers n’ont pas besoin des punchlines de Bruno Retailleau mais de moyens pour accomplir leurs missions.