L’Europe peut être synonyme de progrès social pour les travailleurs. A condition que les États, et en particulier la France ne s’opposent pas aux propositions de directives qui visent à éviter les dérives des entreprises de plateformes. Voilà la conclusion du 1er webinaire organisé par le groupe de pilotage de la convention Europe, animé par Christophe Clergeau et Cécilia Gondard qui s’est tenu le 12 avril.
Nicolas Schmit, (PSE) commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux est précisément l’auteur d’un projet de directive qui vise à améliorer les conditions de travail et les droits sociaux des travailleurs de plateformes.
Pour la reconnaissance d’une présomption de salariat
Cette directive prévoit, suite à toute la jurisprudence, d’instaurer une présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes. Les plateformes devront prouver que les personnes qui travaillent pour elles sont véritablement indépendantes. « Cette disposition essentielle est au cœur de cette directive » a insisté Nicolas Schmit.
Mais elle prévoit aussi de mieux réguler les algorithmes, en imposant une certaine transparence, mais aussi en permettant à chacun, d’avoir, s’il le demande un contact humain en cas de litige.
La directive ne nie pas le statut d’indépendant. Au contraire puisqu’elle leur donne de nouveaux droits, en particulier celui de s’organiser. Mais elle fait la différence entre les vrais indépendants qui ont choisi ce statut, et celles et ceux qui se le voient imposer.
Cette directive a été adoptée par le parlement. Mais il reste à convaincre le conseil. Et là, la France freine des quatre fers, adoptant une position extrêmement favorable aux plateformes soutenant l’idée qu’il vaut mieux des emplois mal payés que pas d’emploi du tout. Emmanuel Macron n’a jamais varié sur ce dossier depuis 2012 : il soutient le modèle des entreprises de plateformes, alors même que de multiples jugements considèrent que les livreurs ou les chauffeurs de vtc sont, de fait, des salariés.
L’ubérisation : une menace pour tous les salariés
La bataille pour cette directive est d’autant plus importante que l’ensemble du modèle social européen est menacé par l’ubérisation. Aujourd’hui il concerne surtout les livreurs et les chauffeurs mais d’autres secteurs, comme les gardes d’enfants par exemple, peuvent être touchés. L’absence de cotisations sociales est l’aspect fondamental du modèle Uber. « Or, sans cotisations sociales, il ne peut y avoir aucune garantie collective et aucun droit en cas de maladie, d’accident du travail ou de chômage » a rappelé Nicolas Schmit.
Dominique Méda travaille depuis 2015 sur l’ubérisation du travail. « Uber a commencé ses activités vers 2014, en s’appuyant, en France, sur le statut d’auto-entrepreneur mis en place par la loi Novelli sous Nicolas Sarkozy » a-t-elle rappelé. Le gouvernement a soutenu ce type de plateforme au nom de l’emploi.
Mais, en enquêtant sur le sujet, Dominique Méda s’est rapidement rendu compte que ces entreprises font tout pour contourner la législation du travail et ne pas payer de cotisation sociale. L’Urssaf n’a pas les moyens d’effectuer les enquêtes nécessaires pour éviter les fraudes. « Tous les subterfuges étaient bons pour déjouer les contrôles et dès qu’une entreprise se sentait menacée, elle se mettait en liquidation pour être recréée très peu de temps après par les mêmes dirigeants. »
Pour Dominique Méda, il faut défendre le salariat. C’est le statut le plus protecteur. Les promesses d’autonomie et de liberté, faites par les plateformes ne sont jamais tenues et les personnes qui travaillent pour elles tombent dans la précarité.
Le gouvernement français n’a rien fait pour protéger les travailleurs des plateformes a renchéri le sénateur Olivier Jacquin, qui suit ce dossier depuis plusieurs années. « La charte qu’il a mis en place en 2019 est non contraignante et le taux de participation pour la consultation qu’il a organisé a été ridicule : 4% pour les VTC et 2 % pour les livreurs ».
Le contre modèle de la coopérative
La directive de Nicolas Schmit suscite de grands espoirs parmi les travailleurs des plateformes. Cependant, sans attendre sa mise en application, certains s’organisent déjà, sous formes de coopératives pour inventer un autre modèle, plus éthique et plus social. C’est ce qu’a expliqué Brahim Ben Ali, fondateur du l’ INV (intersyndicale nationale des VTC) qui va lancer en Seine Saint-Denis une coopérative de chauffeurs de VTC. « Nous sommes déjà plus de 400 et nous travaillons actuellement sur une application. Les algorithmes ne sont que des outils, et nous allons montrer qu’ils peuvent être éthiques. »
La coopérative veut miser sur la qualité du service pour se démarquer. « Mais nous avons aussi besoin du soutien des pouvoirs publics pour pouvoir résister à la concurrence des multinationales. »
En Bretagne aussi des travailleurs de plateformes cherchent à gagner leur indépendance. A Rennes, en 2021, 200 livreurs se sont rassemblés au sein de l’association des Coursiers autonomes de Bretagne (CAB). Elle a rejoint l’année suivante « Union indépendants », la plateforme de défense des travailleurs indépendants fondée par la CFDT.
Ce n’est évidemment pas un hasard si le premier webinaire de la Convention Europe du parti socialiste portait sur une question sociale aussi importante. On estime à 5 millions le nombre de travailleurs européens qui pourraient changer de statut et devenir salariés si la directive portée par Nicolas Schmit était adoptée. D’où l’importance, pour la gauche française, de la faire connaître, mais aussi d’expliquer que les blocages ne viennent ni de Bruxelles, et encore moins de Strasbourg mais bien de Paris.
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