Il n’y a pas de fatalité à voir le trafic de drogue se développer dans nos communes estime Jean-Paul Vermot, le maire de Morlaix, où deux points de deal ont été démantelés. Mais ça demande une prise de conscience et un travail sérieux de la part des élu-es sur ce phénomène, et une coopération entre les forces de l’ordre, les élu-es et la population.
Nous sommes tous concernés
Cap Finistère : Dans le New York times, qui a choisi l’exemple de Morlaix pour illustrer une enquête sur le développement du narcotrafic dans les villes moyennes, tu as expliqué que nous étions dans un combat à long terme. Peux-tu nous décrire dans quelle phase de ce combat se trouve Morlaix ?
Jean-Paul Vermot : Nous sommes au bout de la chaîne, c’est-à-dire au lieu de consommation. Les produits illicites, et en particulier la cocaïne, n’ont jamais été aussi disponibles, sur l’ensemble du territoire, y compris dans des communes qui étaient encore épargnées il y a quelques années comme l’a expliqué le sénateur Jérôme Durain, que l’UESR a invité à la fin de l’année dernière pour nous présenter les conclusions de la commission sénatoriale qu’il a présidé. On trouve de tout partout. Nous sommes dans la phase de la prise de conscience du phénomène qui a, je crois, plusieurs caractéristiques. D’abord, comme je viens de le dire, c’est la disponibilité des substances. Ensuite, c’est le caractère multi produit des réseaux qui peuvent fournir du haschisch, du cannabis, de la cocaïne ou de l’héroïne. Les enquêtes réalisées à Morlaix ont permis de mettre en évidence l’emprise du phénomène dans toute la société : les consommateurs se trouvent dans toutes les classes sociales, tous les âges, toutes les professions. Enfin, et c’est particulièrement inquiétant, les trafiquants sont de plus en plus jeunes, parfois 14 ans. Et, à ce rajeunissement, j’ajoute le développement de la violence avec l’usage d’armes à feu pour régler des conflits entre groupes comme nous l’avons connu à Morlaix, ou des faits mortels comme à Carantec ou à Taulé.
J’insiste sur la prise de conscience indispensable. J’entends parfois, heureusement de plus en plus rarement, des collègues qui préfèrent ne pas évoquer ces questions. C’est une erreur. Nous ne devons pas avoir peur de braquer les projecteurs sur ces phénomènes parce que nous sommes, de toute façon, tous concernés, quelle que soit la taille de nos communes.
Cap Finistère : À Morlaix, vous êtes parvenus à démanteler deux points de deal.
Jean-Paul Vermot : Oui, l’un en 2021, sur la voie publique et l’autre en 2024 dans le hall d’un immeuble. Il n’y a donc pas de fatalité à voir des organisations criminelles s’implanter et vendre de la drogue. Je ne dis pas qu’il n’y a plus de drogue qui circule, mais nous avons su traiter les manifestations les plus visibles du trafic, parce que la population nous a rapidement alerté et que tout le monde a considéré ces installations comme inacceptables.
Il ne peut y avoir qu’un chef de file : l’État
Question : A ton avis, quels sont les principaux éléments pour éradiquer les points de deal ? Et pour qu’ils ne se reforment pas ?
Jean-Paul Vermot : Il faut déjà la volonté d’affronter cette question même si je sais, pour avoir été menacé de mort, que ce n’est pas toujours facile. Mais les enjeux sont trop importants. D’abord, pour la délinquance qu’engendre le trafic de stupéfiants. Je pense bien sûr à l’insécurité que vivent les habitants autour des points de deal, mais aussi aux cambriolages commis par les dealers et aux règlements de compte toujours plus violents.
Nous avons pu compter sur les forces de l’ordre, police nationale, à Morlaix mais aussi gendarmerie, car, je le répète, le trafic touche aussi les zones gendarmerie. A Morlaix, la police nationale est une police de proximité. Les agents connaissent bien leur ville.
En plus, la police municipale coopère parfaitement avec la police nationale. Elles n’ont pas le même rôle, elles n’accomplissent pas les mêmes missions mais elles savent être complémentaires et utiliser les outils à leur disposition, comme la vidéosurveillance pour mener leurs enquêtes.
Pour moi, et c’est je crois l’une des « leçons de Morlaix » il faut, lorsqu’on s’attaque au trafic de drogue que tous les acteurs se rangent derrière un chef de file et, en la matière, ça ne peut être que l’État.
Nous devons aussi construire une réponse socio-éducative, pluridisciplinaire
Cap Finistère : Mais à Morlaix vous ne misez pas tout sur répression pour éradiquer le trafic ?
Jean-Paul Vermot : Bien sûr que non. Je ne pense pas que l’ordre, même répété plusieurs fois puisse être efficace sur le long terme. Il en faut et je suis le premier à saluer l’action des fonctionnaires de police mais nous devons aussi construire une réponse socio-éducative, pluridisciplinaire, notamment auprès des adolescents qui peuvent être attirés par le trafic de drogue. C’est pourquoi nous avons embauché une éducatrice spécialisée sur une double mission. D’abord le renforcement des partenariats avec les différents acteurs, comme les associations, la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse), le collège de quartier, les bailleurs sociaux pour construire des réponses qui soient le plus partenariales possible. Mais aussi pour accompagner les adolescents qui pourraient se retrouver en difficulté bien avant qu’ils ne basculent et puissent être attirés vers des réseaux de délinquance. Nous avons recueilli des témoignages qui nous indiquent que, lorsque les jeunes sont embarqués dans ces réseaux, ils ne peuvent plus en sortir et subissent des violences physiques, de la brutalité pour rester dans le trafic. La seule promesse de ces réseaux criminels, c’est l’esclavage et la mort.
Ayons le courage d’engager le débat sous l’angle de la santé publique
Cap Finistère : Sens-tu qu’une « union sacrée » peut émerger dans la lutte contre le narcotrafic ?
Jean-Paul Vermot : Je ne sais pas si tout à chacun a bien pris conscience de l’ampleur du phénomène mais je sais qu’à Morlaix, la population, la police et la municipalité sont déterminées à ne pas laisser l’espace public aux dealers. Il faut, pour les élu-es, constamment s’informer afin de comprendre les enjeux. Il faut aussi être en permanence à l’écoute des habitant-es, comme nous le faisons régulièrement avec les opérations « paroles de quartiers ». Je disais que nous en sommes à la phase de la prise de conscience mais il faut aller plus loin et ne pas avoir peur d’engager le débat sous l’angle de la santé publique. Comment considère-t-on les consommateurs ? Quelle réponse palliative peut-on leur apporter ? Et il est temps de poser, enfin, la question de la dépénalisation de ce qu’on appelait les drogues douces mais qui le sont de moins en moins, compte tenu du taux de THC dans les produits vendus actuellement. Nous devons aussi réfléchir à la manière dont on peut assécher financièrement les réseaux qui disposent aujourd’hui d’une capacité corruptive redoutable. Le défi est immense mais je crois que « la leçon de Morlaix » c’est qu’il n’y a pas de fatalité à ce que les réseaux criminels puissent impunément s’implanter dans nos communes.