La 5e république célèbre son 65e anniversaire le 4 octobre. Elle battra ainsi le record de longévité jusque-là détenu par la 3e république (1875.1940).
Cependant, cet anniversaire intervient alors que le régime a du mal à inspirer la confiance.
Comment caractériser la période que nous traversons ? A coup sûr, il s’agit d’une crise. Comment qualifier autrement un moment où aucun ministre ne peut se déplacer sans être entouré d’une compagnie de CRS ? un moment où la présidente de l’Assemblée recourt à tous les subterfuges pour éviter un vote des députés ? Un moment où des centaines de milliers de personnes sont descendues à 14 reprises dans les rues à l’appel d’une intersyndicale et s’apprêtent à recommencer le 13 octobre ?
S’agit-il d’une crise sociale ? D’une crise politique, qu’un remaniement ou une dissolution pourrait permettre de surmonter ? D’une crise de régime qui nécessiterait l’adoption d’une nouvelle constitution ?
Pour répondre à ces questions, la fédération du Finistère du Parti Socialiste avait invité le 26 mai, Olivier Cuzon, de la Ligue des droits de l’Homme et Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, professeur de droit constitutionnel.
La Ligue des droits de l’Homme défend l’état de droit depuis 125 ans
Objet de violentes attaques de la part du gouvernement, la Ligue des Droits de l’Homme occupe une place à part dans le paysage politique français. Née sous le 3e république, elle a traversé la 4e et la 5e et a été, et est toujours de tous les combats pour la démocratie. « La LDH est une association qui n’a jamais renié ses principes depuis 125 ans contre la peine de mort, contre l’arbitraire des tribunaux militaires, contre les tortures, contre les traitements dégradants, contre l’intrusion proliférante des fichiers, contre les violences policières, quels que soient les gouvernements en place, pour faire vivre la fraternité aux côtés des migrants, des sans-papiers, pour le droit à l’IVG et pour une politique face aux changements climatiques » a rappelé Olivier Cuzon.
Le droit de manifester est au cœur des libertés publiques. Or, on constate que, si ce droit n’est pas remis en cause dans les textes, il l’est trop souvent dans les faits.
La gestion du maintien de l’ordre est un sujet de plus en plus étudié par les universitaires. Que ce soit les bousculades au Stade de France, les affrontements avec des gilets jaunes mais aussi la répression lors des manifestations contre la loi travail sous le gouvernement Valls, on voit que depuis une vingtaine d’années, la police française gère souvent les foules protestataires avec brutalité. Les sociologues qui ont travaillé sur la question estiment même que les méthodes musclées utilisées rappellent celles de la fin du 19e siècle avec une tolérance zéro, c’est-à-dire que dès que les sommations sont faites il y a les interventions.
Ces sociologues décrivent un processus de brutalisation du maintien de l’ordre depuis le début des années 2010. Or, cette évolution contraste particulièrement avec un mouvement de désescalade qui a été engagé depuis les années 2000 en Suède, au Danemark, aux Pays-Bas, en Angleterre, en Suisse, au Portugal, en Allemagne. Tous ces pays européens sont regroupés dans un groupe de réflexion sur la gestion des foules prestataires dans 12 pays européens. La France est restée bloquée sur ce tournant sécuritaire et répressif avec un usage indiscriminé et massif de la force qui, fatalement, va engendrer une forme de solidarisation et de radicalisation, en face, de la part d’un certain nombre de manifestants donc des violences collectives. On sait pertinemment que si la police veut faire baisser la tension dans une manifestation, elle doit communiquer avec les organisateurs et les organisatrices avant et pendant le défilé. Des policiers doivent être chargés, via de haut-parleurs, d’orienter les foules, d’expliquer les stratégies policières et notamment en matière d’interpellations. Elle doit surtout différencier et graduer ses interventions pour qu’elles ne soient pas perçues comme dangereuses et hostiles vis-à-vis de la foule. Or c’est exactement le contraire qui se passe aujourd’hui.
Cette doctrine a fait ses preuves à l’étranger et nos gouvernements successifs depuis 20 ans ont décidé d’en prendre le contre-pied. La police a été dotée de lanceurs de balles de défense, de grenades extrêmement dangereuses, assourdissantes. Dans les faits, de nombreuses personnes, se sentant en danger, hésitent désormais à manifester
Faut-il pour autant changer de Constitution et passer à la 6eme ? Non, répond d’emblée Jean-Jacques Urvoas. Pour l’ancien Garde des sceaux nous ne sommes pas face à une crise institutionnelle mais face à une crise politique. Et plus précisément face à une crise de confiance vis-à-vis du pouvoir politique et vis-à-vis de la politique.
« La vie publique est devenue une arène de gestionnaires qui se disputent des brevets de bonne administration »
« Les Français ne voient pas les résultats de la politique ». Ils voient des alternances, ils voient un chômage endémique, des services publics en crise. Et pourtant la pression fiscale n’a pas diminué.
« La vie publique est devenue une arène de gestionnaires qui se disputent des brevets de bonne administration » a résumé Jean-Jacques Urvoas.
Le terme même de parti politique n’existe plus. Les organisations qui sont nées depuis quelques années se nomment Horizons, Renaissance, la France insoumise, le Rassemblement national, les Républicains… Même le terme de militant a disparu. On parle d’activistes.
Il fut un temps où les partis politiques produisaient des candidats. Aujourd’hui les partis, les organisations ou les mouvements se construisent autour de quelqu’un. Le dernier exemple étant Édouard Philippe qui s’est doté d’une organisation pour servir son ambition présidentielle.
Jean-Jacques Urvoas fait une distinction entre l’organisation des pouvoirs publics et les mécanismes qui régulent la séparation des pouvoirs, et la manière dont les dirigeants utilisent ces mécanismes. De Gaulle disait « une constitution c’est un esprit, des institutions et une pratique ». Pour Jean-Jacques Urvoas, ce qui dérègle la 5e République c’est d’abord la pratique des institutions.
Une incroyable capacité de résilience
Qu’est-ce que la 5e République ? « C’est le Gaullisme plus l’ENA » résume Jean-Jacques Urvoas. « C’est un exécutif fort, aidé par une technocratie puissante, dans l’intention de bâtir un état efficace. Voilà le pari qui est fait en 1958 ».
Depuis, naturellement, la 5e République s’est adaptée. Pour prendre un terme contemporain elle est d’une incroyable résilience. Elle a encaissé la fin de la guerre d’Algérie et l’épreuve de la rue en mai 68.
La 5e république a permis à la gauche de gouverner
On a beaucoup dit que la 5e République était une parenthèse, un régime pour de Gaulle, par de Gaulle, avec de Gaulle. Mais, une fois l’homme du 18 juin disparu, elle se refermerait et on reviendrait à quelque chose de plus conforme à la tradition républicaine. Or, la 5e République a résisté à la disparition de De Gaulle en 69.
Elle a permis l’alternance en 1981 et, là aussi on se demandait comment le premier procureur de la 5e République, François Mitterrand, l’auteur du « coup d’État permanent » en 1964, allait faire avec la 5e République ? Et pourtant, il a gouverné avec les institutions et bien gouverné parce qu’elle a donné à la gauche ce qu’elle n’avait jamais eu sous la 3e ou sous la 4e République : le temps pour agir. Grâce à la 5e république, François Mitterrand a disposé de cinq ans dans un premier temps, jusqu’aux législatives de 1986 et puis cinq ans à nouveau après sa réélection en 1988.
La 5e République a permis la cohabitation, que de Gaulle n’aurait jamais imaginé : un premier ministre et un président qui se détestent et qui arrivent à travailler ensemble. N’oublions pas que le premier ministre le plus puissant que nous ayons eu en 65 ans, fut Lionel Jospin. Pendant 5 ans, sans aucun 49-3, avec une majorité plurielle, (le PS, le PC, les Radicaux de gauche et les écologistes), il a gouverné sans difficulté.
La 5e République a une autre vertu aux yeux de l’ancien garde des Sceaux : elle identifie le pouvoir ce qui n’était pas le cas auparavant.
Qui, sous la 4e République était responsable des échecs de la décolonisation ? L’Assemblée ? Les présidents du Conseil ? Qui est responsable d’avoir mis l’Europe sur les fonts baptismaux ? L’Assemblée ? Les gouvernements ? Les deux présidents, Vincent Auriol ou René Coty ? Les Français ne le savaient pas. Ils votaient, et ils ne savaient pas qui allait gouverner.
Maintenant, le soir des élections, les Français savent qui a gagné et qui va gouverner. « Ce n’est pas tout à fait anodin, dans une démocratie, où il y a une responsabilité que l’on se doit d’assumer » estime l’ancien garde des Sceaux.
Et pourtant, plusieurs constitutionnalistes dénoncent les travers de la 5e République et appellent de leurs vœux une 6e République utilisant divers arguments que réfute Jean-Jacques Urvoas.
Comme la présidentialisation. « On nous dit : c’est l’élection du président de la République au suffrage universel qui explique que nous avons perdu tout sens commun, que nous attendons tous qu’il guérisse les écrouelles, qu’il redresse les bossus ».
Mais plusieurs pays, en Europe, élisent le président de la République au suffrage universel : le Portugal, l’Autriche…
« Au Portugal les partis se mettent d’accord pour présenter comme président de la République quelqu’un qui, justement, est garant du fait que c’est le premier ministre qui va exercer la réalité du pouvoir. Mais ils élisent pour autant le président de la République au suffrage universel ».
« On nous dit que le Parlement en France ne fonctionne pas. La preuve : la motion de censure, ça ne marche jamais, c’est cosmétique. La seule qui a marché c’est le 5 octobre 62. Depuis, ça ne sert à rien. »
Mais là encore, Jean-Jacques Urvoas suggère de regarder nos voisins.
Au Royaume-Uni, la dernière motion de censure a été votée en 1979. La précédente c’était 1945. La dernière fois qu’une motion de censure a été votée en Allemagne c’était en 1982. « Ils n’ont pas beaucoup plus d’usages que nous de ce mécanisme donc ce critère ne me paraît pas suffisant pour évaluer l’ensemble ».
Dernier exemple, le poids trop important du Conseil constitutionnel.
« Laurent Wauquiez a déclaré que le Conseil Constitutionnel a pris tous les pouvoirs. Maintenant on ne peut plus rien faire, ce sont les autorités administratives indépendantes qui décident ».
Là encore, regardons outre-Rhin. Il faut mesurer ce qu’est la cour de Karlsruhe en Allemagne. Ce tribunal vient d’exiger que le gouvernement intègre l’impératif écologique. Il l’a fait parce que c’est marqué dans la constitution allemande de 1949. La Cour suprême a dit qu’elle estime qu’il faut protéger le climat au nom des générations futures et donc voilà une obligation pour l’État de le faire. « Ça, c’est un gouvernement des juges » estime Jean-Jacques Urvoas.
Les institutions ne sont pas un frein
Pour l’ancien garde des Sceaux, les institutions ne sont pas un frein. « C’est l’outil qui est mal utilisé ».
L’article 3 de la Constitution dit : la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. « Et vous voyez l’alchimie aussi intelligente que malicieuse : on place les deux sur un pied d’égalité. La souveraineté du peuple s’exprime par la voix de ses représentants, donc les députés, mais aussi par la voie du référendum, c’est-à-dire le citoyen. »
Le problème c’est que, depuis 2005, le peuple n’a pas eu le pouvoir alors même qu’en 1995 le champ du référendum avait été élargi. On pourrait en faire beaucoup plus. On n’en a pas fait et on nous explique qu’en France, les électeurs ne répondent pas à la question, mais à la personne qui l’a posée.
Mais en 2005 vous avez voté pour un homme ? J’ai répondu à Chirac ou j’ai répondu sur la Constitution européenne ? En 92 vous avez répondu sur Maastricht vous avez répondu à François Mitterrand ? En 1988 pour ceux qui avaient le droit de vote à cette époque-là, vous étiez convoqué pour voter sur la Nouvelle Calédonie. Vous avez voté pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ou vous avez répondu à François Mitterrand ? En 2000, il y a 20 ans, vous avez tous été convoqué sur le quinquennat. Vous avez répondu sur le quinquennat ou vous avez répondu à Jacques Chirac ?
Les Français répondent aux questions qu’on leur pose.
Les Français ont dit non à De Gaulle parce qu’il avait prévenu qu’en cas de réponse négative, il s’en irait. Mais la question officielle c’était : est-ce qu’on diminue le rôle du Sénat ou est-ce qu’on est favorable à la régionalisation ?
« Comment voulez-vous que le peuple se retrouve dans un système où, aujourd’hui, la démocratie ne consiste qu’à aller déposer un bulletin de vote tous les 5 ans ? » a demandé l’ancien garde des Sceaux.
Dans le discours de Bayeux, en 1946, De Gaulle cite le philosophe antique Solon. A la question « Qu’est-ce qu’une bonne constitution ? », il avait répondu : « Pour quel peuple et pour quelle période ? »
« C’est la même chose en 2023 » estime Jean-Jacques Urvoas. « Aujourd’hui le peuple a besoin de s’exprimer. »
Il n’y a pas besoin de changer de Constitution. S’il faut changer quelque chose, ce sont les comportements des dirigeants. Ou de dirigeants…